La Fracture: regard neuf sur l’urgence !

La Fracture sortira en salle le 27 octobre 2021. Aïssatou Diallo Sagna, aide-soignante de profession, incarne Kim, une infirmière d’un service d’urgence dans le film La Fracture de Catherine Corsini. La réalisatrice souhaitait à travers ce long-métrage dénoncer la fracture sociale. Bien plus le film dénonce aussi l’état critique des hôpitaux et du manque de moyen et de personnel.

De Aïssatou l’aide-soignante dans la vie à Kim l’infirmière à l’écran

La Fracture © Carole Bethuel

Dolce Group : Quels sont les points communs entre Kim, votre personnage dans le film et vous, Aïssatou ?

Aïssatou Diallo Sagna  : Nous sommes toutes les deux femmes noires, mamans et soignantes, ça fait déjà pas mal de points communs épuisés par le système carrément.

DG : Quels sont selon vous les points forts de votre profession que vous avez retrouvés dans le scénario et la mise en scène de Catherine Corsini ?

ADS : Je dirais, l’écoute, l’écoute envers les patients, le fait que même si on est débordée, on va quand même essayer de prendre le temps d’apporter les soins nécessaires et l’écoute nécessaire surtout aux patients qui sont là, renseigner les accompagnants. Ce que je retrouve aussi c’est quand même l’esprit d’équipe. On est là dans la même galère. Alors certes on a une vie de folie, mais on y va et on fait le boulot.

DG : C’est vrai qu’un tournage c’est un travail sur plusieurs mois et avec une équipe que l’on retrouve quotidiennement, pour ceux qui ne seraient jamais venus sur un plateau.

Avez-vous eu à soigner des gilets jaunes dans l’exercice de votre fonction d’aide-soignante ? Si, oui, est-ce que cette expérience vous a aidée à incarner votre personnage, Kim ? 

ADS : Alors, j’ai eu affaire effectivement à des patients qui sont arrivés aux urgences, suite à des manifestations, des manifestations de gilets jaunes de quelques mois en arrière. Maintenant, je dirais, non, parce que moi j’essaye toujours de m’adapter au patient, certes, mais un patient, c’est un patient, je ne regarde pas : « Est-ce que lui vient du seizième ? Est-ce que lui a un gilet jaune ? » … Bon celui qui est SDF malheureusement, ça se voit. Mais on le prend quand même en charge. Je ne dirais pas que ça m’a aidée. Mon métier m’a aidée à incarner mon rôle, ça, c’est certain. Mais le fait d’avoir soigné des gilets jaunes avant, non. 

DG : On pense à la réplique dont Catherine Corsini a souligné l’importance lors de la conférence de presse à Cannes. Le fait que vous ayez un petit peu modifié le texte au moment du « déballage » de la jambe de Yann dans le film. 

ADS : Oui c’est vrai, après il y a quand même des termes que l’on emploie, nous, sans faire attention et qui sont des termes de notre jargon à nous. Autant les réalisateurs que les scénaristes et les gens sur le plateau, ils avaient leur propre manière de parler, leur propre jargon, autant nous à l’hôpital c’est pareil. Et c’est vrai qu’il y a eu quelques petites phrases comme ça, quelques façons de dire ou même de faire. On a fait des propositions qui ont étés totalement acceptées par Catherine dont, comme vous dites, cette histoire de déballer la jambe, déballer le pansement, ça, c’est quand même un terme à nous. 

DG : En tant que soignante, comment avez-vous perçu le scénario de Catherine Corsini puis le film une fois monté ? 

ADS : Alors moi, j’ai lu le scénario, la première fois en une seule fois. Je l’ai lu vraiment d’une traite. J’ai eu de la chance, je n’ai pas été dérangée, les enfants étaient bien occupés. Donc j’ai lu en entier, j’ai adoré, mais c’est vrai que je me lançais dans une aventure pour le coup parce que n’ayant aucune expérience de théâtre, de comédienne, je me suis lancée et j’ai adoré. J’ai adoré jouer ce rôle et c’est vrai que c’est plutôt flatteur que l’on me propose un rôle pareil. Mon rôle, le personnage de Kim, il est énormément mis en valeur. C’est une femme très courageuse, épuisée, mère d’une petite fille de quelques mois qui est en plus souffrante ce jour-là. Elle n’aurait pas dû bosser, elle enchaîne, elle enchaîne des nuits, elle enchaîne des nuits parce que manque d’effectifs et que ça pour le coup, je me suis reconnue parce qu’alors certes je n’ai pas enchaîné six nuits parce que moi d’ailleurs je ne travaille pas la nuit, mais je me suis vue après mon roulement repartir travailler parce que la cadre m’appelle en me disant «  Écoute, il manque du monde est ce que tu peux venir ? » Ça, effectivement, ça m’est arrivé bien des fois, ça m’a même causé parfois des troubles avec mon conjoint.

DG : Quels souvenirs gardez-vous de cette première expérience de tournage ? 

ADS : J’ai énormément de souvenirs en boîte, j’ai vraiment adoré que se soit participer avec la régie, avec les accessoiristes, moi je les appelle un peu les MC Gaver du tournage quoi. Ils sont là, on leur dit il faudrait ça, ils courent à droite, à gauche, ils fabriquent un truc et on l’a. C’est vrai que moi j’ai bien aimé apporter un petit peu, pas mon savoir, mais ma petite connaissance des urgences, j’ai quand même fait sept ans dans un service d’urgence générale. Et c’est vrai que ça me tenait un petit peu à cœur d’apporter le plus de « vrai » en fait à ce tournage. Déjà pour que l’on soit crédible auprès des soignants qui, eux, connaissent. Il y a eu quand même plein de films où on va voir par exemple une personne en arrêt cardiaque et puis on va voir une dame toute belle, toute fraîche qui va masser et qui ne va absolument pas bouger son corps. Donc là on sait que l’on est très loin de la réalité, un massage cardiaque c’est dynamique, c’est violant. C’est vrai que j’ai adoré. La scène du massage cardiaque c’était vraiment cool de la faire parce que l’on se serait vraiment cru en service et j’avais des collègues autour de moi, j’avais des infirmières, des soignants. Et y avait même une conseillère sur le film qui est médecin sénior aux urgences de Lariboisière qui était avec nous enfaite qui était avec nous sur la scène de la réanimation. Donc on s’y serait vraiment cru. C’était vraiment bien. Et un autre souvenir là on sort un petit peu du cadre de l’adrénaline parce que c’est la scène où je me fais agresser. Alors là ça a été un plus dur parce que, quand il s’agit de jouer une soignante, je n’ai pas eu trop de difficultés, mais là il a fallu lâcher prise, faire tomber toutes les barrières. Il a fallu que moi, j’ai mal d’abord. Moi, Aïssatou j’ai mal pour que Kim ensuite puisse montrer les émotions que j’ai ressenties. Donc ça a pris un peu de temps.

DG : Est-ce que l’aide de Catherine Corsini a aidé pour cette scène? 

ADS : Non, non, on a essayé plusieurs fois. Alors au départ ce n’était pas évident parce que moi en plus dans mon caractère, dans ma vie plus intime et par rapport aux expériences que j’ai vécues, je me suis créé une petite bulle autour de moi pour me protéger de manière à ne pas trop monter les failles aux autres.  On vit quand même dans un monde pas très sympa et quand on montre un peu trop ses émotions parfois on le regrette. Donc il a fallu faire casser la bulle et j’y suis arrivée et Catherine était très contente du résultat. Alors elle était adorable parce qu’elle ne voulait pas trop me brusquer. Comme vous le savez, elle n’a pas l’habitude de jouer avec des non-comédiens, mais du coup elle m’a vraiment laissée prendre mon temps, arriver à choper quelques émotions. Elle n’a pas forcé, c’est moi qui ai insisté pour que l’on recommence. Elle a même proposé que l’on passe à autre chose et que l’on y revienne. Et en fait je lui ai dit « autant le faire maintenant je pense que l’on en est pas loin donc autant continuer ».

DG : Mais je crois que c’était un souhait de sa part qu’il y ait une vraie soignante dans le rôle de Kim.

ADS : Ah non, non, non au départ le rôle Kim, elle pensait que se serait justement une « vraie » comédienne du fait de ses scènes où l’on attend quand même une émotion, de la peur, des larmes, et ça, c’était un petit peu le challenge du film. Raison pour laquelle avant, quand j’ai su que je jouerais Kim, on a eu quelques séances de coaching avec la directrice de casting. On s’est vues quelques fois avant le début du tournage pour faire ce que l’on appelle des séances de coaching émotionnel. Parce que justement Catherine avait peur que pour ces scènes-là ce soit plus compliqué.

DG : Que vous apporte ou vous a apporté cette expérience dans votre vie à vous Aïssatou ? 

ADS : Je pense que j’ai gagné un peu plus de confiance en moi. C’est vrai que dans notre métier on n’est pas vraiment valorisés, on n’est pas vraiment considérés et on est très mal payés, on fait des heures à n’en plus finir. Les urgences c’est un service encore bien spécifique, on doit gérer le flux important de patients, l’agressivité des patients, l’inquiétude des accompagnants, donc tout ça, ce n’est pas simple. Au bout de quelques années, on emmagasine, on emmagasine et l’on crée une certaine fatigue qui est là. Et là comme le dit Catherine dans le dossier de presse, elle a dit une phrase qui est très vraie :  « Je pense que je lui ai offert une promotion professionnelle. » Ça veut dire beaucoup de choses, parce qu’elle m’a fait confiance et ça m’a beaucoup aidée. J’ai gagné en confiance, d’ailleurs à la suite du film j’ai changé de travail, j’ai changé d’établissement après dix-sept ans, ce qui n’est pas rien. Et je pense que tout ça, c’est forcément en lien. Et là il se trouve que maintenant je suis toujours dans un service d’urgence, mais alors à moindre échelle, avec des gens plutôt, avec patients plutôt autonomes. Ce que je pense : ça va me permettre de me rendre un plus disponible. Là on est partis à Cannes, ça n’a posé aucun problème. Dans quelques jours (lors de l’entretien), on va à Deauville pour le Festival du Film Américain. […]  Moi je ne crois pas vraiment au hasard et je pense que les choses ne sont pas arrivées par hasard. 

DG : En cette période si particulière, beaucoup de films sur la thématique générale de la santé sortent en salle. Je pense notamment aux films Tout s’est bien passé de François OZON ou encore De son vivant de Emmanuelle Bercot. Ces deux films ont été également présentés lors de la soixante-quatorzième édition du Festival de Cannes. Pensez-vous que la pandémie a joué un rôle dans le fait de porter davantage à l’écran des fictions sur ce thème ?

ADS : Inévitablement, je pense que oui. Il y a eu l’effet pandémie, il y a eu l’effet Covid. Les gens se sont forcément sentis concernés. On a tous eu un membre de la famille, un membre de notre environnement qui a forcément attrapé le virus ou malheureusement fait un séjour à l’hôpital donc je pense, effectivement, que c’est étroitement en lien, ouais, tout à fait. 

DG : Est-ce que vous aviez un peu la même pression entre l’hôpital et le fait de tourner en pleine pandémie dans un décor qui reconstitue un hôpital ? Est-ce que c’est le même stress, est-ce que c’est différent ? 

ADS : Je n’ai pas du tout été stressée en fait. Certes je ne savais pas où j’allais, je ne savais pas dans quoi je me lançais, mais depuis le premier jour du casting enfin dès le premier jour de cette aventure c’est comme s’il y avait deux petites mains dans mon dos qui me pousse en me disant : «  Vas-y et n’ai aucune crainte, n’ai peur de rien , sois juste toi même. » Et ne fait ça été un peu ma ligne de conduite que j’adopte encore aujourd’hui. Et j’ai eu la chance d’être extraordinairement accompagnée, que ce soit par la réalisatrice, par la production, par les autres acteurs, connus ou moins connus. Je dirais que nous en tant que soignants, si vous voulez, on se retrouve. J’imagine que vous si vous vous retrouvez avec une quinzaine de journalistes ça va faire « match » parce que forcément il y aura un commun à vous tous. C’est exactement ce qui m’est arrivé en plus, avec des gens qui avaient tous fréquenté les urgences. Donc on avait forcément des anecdotes en commun. Pour moi, j’avais une bande de collègues avec moi.  Je ne les connaissais que depuis quelques jours. C’est vraiment comme ça que je l’ai perçu. 

DG : Un peu comme une tension entre vos deux établissements dans lesquels vous travaillez avant et après le film ? 

ADS : Ouais, c’est un peu ça, tout à fait. C’est vrai que quand on arrive dans un milieu que l’on ne connait pas, on se rattache un petit peu à ce que l’on connait. Donc c’est vrai que pour moi certes c’était un décor, mais ça ressemblait très fortement à un service d’urgence, donc j’étais quand même à l’aise dans mes pompes. C’est un univers que je connais. 

DG : Eh bien merci d’avoir répondu à nos questions pour Dolce Magazine. 

ADS : Merci à vous

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